Transformation d'une armoire en encyclopédie
Si les sources manquent pour donner de la bibliothèque de Maurice Thorez une description détaillée au tournant des années trente, du moins est-il possible d’en caractériser le volume et la composition.
L’accroissement de la bibliothèque va alors de pair avec l’ascension de Thorez au sein des instances du parti : tandis que le jeune cadre est désigné officieusement (1930) puis de façon officielle (1936) au secrétariat général du PCF, la bibliothèque est peu à peu alimentée par des canaux institutionnalisés. C’est effectivement à partir des années 1930, et plus sensiblement encore, à partir de 1935, que le Bureau d’éditions et les Éditions sociales internationales, dépendants du PCF, adressent systématiquement leurs nouvelles publications, par le biais de leurs services de presse, au nouveau dirigeant.
En sus des fondamentaux formant le socle littéraire du marxisme et du léninisme, la bibliothèque est par ailleurs nourrie des acquisitions réalisées par Thorez au titre des débats idéologiques agitant la vie politique nationale et européenne dans les années 30. De Thorez, "Fils du peuple" donne en 1937 l’image d’un jeune dirigeant se plongeant dans la lecture des écrits nazis pour mieux en combattre les idées.
Aux côtés de l’homme politique, l’amateur de livres s’affirme lui aussi dans cette période, à la faveur d’une plus grande stabilité dans sa vie personnelle. À l’automne 1935, Jeannette Vermeersch était enceinte : le ménage s’installa donc dans un deux-pièces de la rue Spinoza, à Ivry. Dans son livre "La vie en rouge", Jeannette Vermeersch rapporte l’anecdote suivante, dans laquelle elle voyait l’acte de naissance de la bibliothèque du couple :
« Nous avions si peu d’argent, à dire vrai, que nous ne possédions pas d’armoire dans notre nouveau logement de la rue Spinoza. J’entassais notre linge dans une valise mais, avec la venue prochaine de l’enfant, j’avais envie d’une armoire. Sou après sou, je mis de l’argent de côté, jusqu’au jour de la fête de la gare, devant le café du père Barboux. Là, sur l’un des stands forains, il y avait en vente des encyclopédies Quillet. Alors que nous passions devant, je vois l’œil de Maurice attiré par des livres comme par un aimant. Il ne dit rien mais y revient peu après. Il tourne, il y revient, les feuillette… Alors je lui proposai de "transformer« l’armoire en encyclopédie Quillet ! Ce fut là notre première grosse dépense de livres mais ce ne fut pas la dernière. Quelques années plus tard, la bibliothèque était considérable… »
La vie en rouge, p. 68.
À la veille de la Seconde Guerre mondiale, en effet, la bibliothèque de Maurice Thorez comptait d’ores et déjà un peu plus de 1000 ouvrages, auxquels celui-ci tenait suffisamment pour que fut prise la décision, lorsqu’éclata la guerre, de les mettre à l’abri d’éventuelles déprédations.