'Ils se battent aux Thermopyles'
Un récit de la guerre civile grecque (1946-1949)
'Le drame de la résistance grecque' par E.-N. Dzelepy, 1946. Carte des principaux points de résistance en Grèce.
Les lendemains de la Seconde Guerre mondiale n'ont pas été pour la Grèce une période de paix et de stabilisation comme pour la majorité des pays européens. Le pays a été déchiré par une guerre civile féroce qui a duré trois années (1946-1949) et a marqué la vie politique grecque pour plusieurs décennies.
Bien que le début officiel de la guerre se situe en 1946, le conflit, s'était manifesté déjà en 1943, avant la libération de la Grèce des forces de l'Axe. Il a opposé l'EAM (Front national de libération), le plus grand mouvement de résistance grecque, fortement influencé par le Parti communiste, aux forces politiques traditionnelles du pays de tendance conservatrice. Jouissant au départ d'un fort soutien populaire, l'EAM avait l'ambition de participer à la vie politique de l'après-guerre, revendication très mal perçue par ses adversaires politiques, qui redoutaient la montée du communisme dans le pays.
'La vérité sur la Grèce', par Solley Leslie, Union démocratique des Hellènes de France, 1946.
Reflet de fortes tensions internes, la guerre civile grecque s'inscrit dans le contexte de la Guerre froide et de la concurrence des grandes puissances de l'époque pour le contrôle de la région. C'est la raison pour laquelle les interventions étrangères ont joué un rôle essentiel dans la naissance et le déroulement du conflit.
Soucieuse de protéger ses intérêts économiques, mais aussi de limiter la zone d'influence de l'URSS, la Grande-Bretagne est intervenue brutalement dans la vie politique grecque, à la Libération et jusqu'en 1947. Le gouvernement travailliste britannique a préféré soutenir un régime autoritaire en Grèce plutôt que de permettre l'émergence au pouvoir de forces communistes. Cette politique a été fortement critiquée par certains de ses députés.
En 1947, l'influence britannique est remplacée par celle des États-Unis, faisant de la Grèce un des premiers pays à profiter du Plan Marshal.
'Résistance 47 - L'Armée démocratique grecque', par H. Bassis et A. Biniaris, Éditions France d'abord, sans date.
L'Armée démocratique grecque fut fondée en octobre 1946 pour rassembler dans un corps plus ou moins organisé les guérillas communistes qui contrôlaient déjà les montagnes de la Grèce du Nord. Elle a été placée sous le commandement du Général Markos, ancien résistant et membre du Parti communiste grec.
En décembre 1947, l'action de l'Armée aboutit à l'établissement du Gouvernement provisoire démocratique grec, basé sur les montagnes de la Grèce du Nord et constitué uniquement de communistes. Quels que fussent les espoirs du Parti communiste, ce gouvernement « de la Grèce Libre », ne fut pas reconnu par l'URSS qui ne s'est jamais engagée ouvertement en faveur du soulèvement communiste en Grèce.
En réaction aux conquêtes de l'Armée démocratique et à la proclamation d'un gouvernement révolutionnaire, le gouvernement officiel grec a établi la loi 509, loi « extraordinaire » mettant hors loi le Parti communiste et l'EAM.
'Livre de sang'. Un réquisitoire accablant des combattants de la Résistance condamnés à mort, Éditions Grèce Libre, sans date.
Considérés comme un vrai danger pour la patrie, les partisans de la gauche ont été durement persécutés par le pouvoir officiel qui procède à des arrestations massives, des détentions sans jugement et même des tortures et des exécutions. La loi 509 de 1947, n'a fait qu'accentuer ces persécutions, faisant de la simple alliance avec le Parti communiste, un crime.
Cette violation flagrante des droits de l'homme, qui a persisté bien longtemps après la fin de la Guerre civile, a beaucoup renforcé le prestige de la gauche grecque auprès de l'opinion publique européenne, auréolant ses partisans d'un aspect héroïque. De nombreuses personnalités des lettres et des arts, ont exprimé leur solidarité envers « le peuple grec martyrisé ». Parmi elles, le poète Paul Éluard qui a traduit en français des poèmes écrits par des prisonniers politiques condamnés à mort.
Youra, 'Livre de sang n° 2', Éditions Grèce Nouvelle, sans date.
Arrêtés et emprisonnés pour leur appartenance politique, les militants communistes ont souvent été déportés. Les destinations les plus communes de ces déportations ont été Yaros (ou Youra) et Makronisos, îles inhabitées de la mer Égée, où les détenus se retrouvaient totalement coupés du reste du monde, soumis à des tortures et au travail forcé.
Lieu de déportation depuis les temps romains, l'île de Yaros a été organisée comme camp de détention pour les prisonniers politiques en juillet 1947. Le camp fut abandonné en 1962, pour être réutilisé entre 1967 et 1974 par le régime dictatorial des colonels. Aujourd'hui, l'île a été proclamée lieu de mémoire pour les victimes de persécutions politiques de la Guerre civile et de la Dictature.
'Anti-déclarations' de résistants, publiés dans le livre Youra. 'Livre de sang n° 2', pp. 568-569.
Une des conséquences de la Guerre civile fut le classement, de la part des autorités officielles, des citoyens grecs en « nationaux », fiables et fidèles à la patrie et « communistes », considérés comme des traîtres. Les personnes susceptibles d'appartenir à la seconde catégorie étaient ségréguées : elles étaient tenues de fournir un 'certificat d'opinions sociales' même pour pouvoir exercer un emploi.
Selon cette même logique, les détenus politiques devaient souscrire les fameuses « déclarations de repentance » dans lesquelles ils reniaient le communisme et affirmaient leur volonté de revenir sur le « droit chemin ». L'objectif de ces déclarations était d'affaiblir le Parti communiste, en portant atteinte à sa cohésion.
Pour les détenus, la signature de ces documents était souvent la seule manière d'échapper aux tortures ou à l'exécution. Considérée comme trahison par le Parti, la signature entraînait aussi leur exclusion de la communauté des prisonniers politiques.
'Ils se battent aux Thermopyles' par Simone Téry, Éditions Hier et aujourd'hui, 1948.
La Guerre civile grecque a entraîné un véritable courant de solidarité parmi les intellectuels de la gauche française, similaire sous certains de ses aspects au mouvement philhellénique du XIXe siècle. Certains intellectuels ont même réalisé des voyages afin de connaître par eux-mêmes la « Grèce Libre ».
La journaliste Simone Téry est allée en Grèce en octobre 1948, comme correspondant de 'L'Humanité'. Aidée par un réseau communiste illégal, elle réussit à passer en « Grèce Libre » où elle vécut pendant quelques mois en compagnie des andartès, les combattants de l'Armée démocratique. Elle fut même un des trois journalistes à avoir pu rencontrer le Général Markos pendant la période où il dirigeait l'Armée démocratique.
Dans son livre 'Ils se battent aux Thermopyles', Simone Téry raconte son voyage et présente une image idyllique de la « Grèce Libre », où l'héroïsme des andartès rencontre celui de leurs glorieux ancêtres.
'Grèce citadelle vivante de justice' par Henri Bassis, édité par la section du 6ème arrondissement de Paris du PCF, sans date.
Très engagé dans la cause grecque, le poète communiste Henri Bassis a visité la Grèce en mai 1949, en compagnie de Paul Éluard, de Jean-Maurice Hermann et d'Yves Farges. Ils sont allés sur les montagnes voir de près la vie et la lutte des andartès grecs. Bien qu'à l'époque de leur voyage, soit trois mois avant la défaite finale du camp communiste, l'Armée démocratique était déjà très affaiblie, Henri Bassis s'est dit très impressionné par l'héroïsme et le « caractère essentiel de la Grèce Libre ». C'est cette admiration qui a inspiré son recueil poétique Grèce citadelle vivante de justice, entièrement dédié à la lutte grecque.
Le poème « Grecs sans visa » est dédié aux nombreux grecs réfugiés en France. Il s'agit d'une protestation contre les nombreuses expulsions de partisans grecs, prononcées par les autorités françaises en 1948.
'Grèce ma rose de raison' par Paul Éluard, gravures sur bois de Z. Srnitch, sans date.
Paul Éluard a visité, pour la première fois, la Grèce en juin 1946 comme invité de l'Institut français à Athènes. Ses conférences ont été accueillies avec un grand enthousiasme par le public grec, qui voyait en lui un « nouveau Lord Byron ». De son côté, Paul Éluard a été très touché par les sentiments du public grec à son égard, ainsi que de sa bonne connaissance de la langue française.
Le poète est retourné en Grèce trois ans plus tard, en mai 1949, comme membre d'une « Commission d'aide » pour les combattants de l'Armée démocratique. Ce voyage sur les montagnes de la « Grèce Libre » lui a inspiré les poèmes du recueil Grèce ma rose de raison.
Entre temps, Éluard n'a pas cessé d'exprimer son soutien à la cause de la gauche grecque, tant par ses poèmes que par sa participation à de nombreuses actions de solidarité.
Comité français de la Jeunesse démocratique : Campagne de solidarité envers la jeunesse combattante de Grèce. Carte destinée à l'O.N.U., automne 1948.
La mobilisation de la gauche française pendant la Guerre civile grecque ne peut naturellement pas être comparée à celle qui avait eu lieu dix ans auparavant pour le soutien du camp démocratique en Espagne. La Guerre civile grecque a pourtant souvent été comparée à la Guerre d'Espagne, le trait commun des deux guerres étant l'importance de l'intervention politique des puissances étrangères. Cette comparaison a aussi été employée pour valoriser la cause grecque et souligner son importance internationale : en Espagne ou en Grèce, la cause était une et l'ennemi commun.
L'ONU fut saisie de la question de la Guerre civile dès 1946, constituant ainsi une des premières épreuves du jeune organisme. Paralysée par les intérêts contradictoires de ses membres, l'ONU n'a pas réussi à fournir une solution pacifique au problème grec.
Adresse des élèves de l'école d'officiers de l'Armée démocratique grecque à Maurice Thorez. Document transmis au secrétaire du Parti communiste français par Paul Éluard.
Malgré son opposition à la stratégie révolutionnaire suivie par le Parti grec, le Parti communiste français a ouvertement soutenu la lutte des communistes grecs pendant toute la durée de la Guerre civile. Ce soutien n'a fait qu'accroître le sentiment de fraternité des combattants communistes grecs envers le « peuple héroïque français » :
« Camarade Thorez,
Les élèves et les cadres de l'École des officiers du Quartier Général de l'Armée Démocratique Grecque, combattant l'arme à la main pour la liberté et l'indépendance de notre patrie, contre les traîtres autochtones et les impérialistes anglo-américains, des montagnes libres de Grammos, nous envoyons, à Vous, chef digne du peuple héroïque français, nos brûlantes salutations révolutionnaires. Nous sommes décidés à poursuivre notre lutte jusqu'au triomphe définitif de la paix et de la démocratie. »
Couverture et première page dédicacée du roman XXe siècle par Melpo Axioti, Éditions La Bibliothèque française, 1949.
Suite à la Guerre civile, plusieurs intellectuels de gauche grecs furent forcés de quitter le pays. Ils ont émigré vers d'autres pays d'Europe, tant du bloc occidental que du bloc soviétique. Un grand nombre de ces personnalités a émigré en France où ils ont continué à militer pour la gauche.
Ce fut le cas de Melpo Axioti, écrivain et ancienne résistante, qui se réfugia en France en 1947. Son romain XXe siècle a reçu de très bonnes critiques lors de sa parution et a été traduit en plusieurs langues. L'édition française fut présentée par Louis Aragon.
En 1950, à la demande du gouvernement grec, le gouvernement français décida d'expulser Melpo Axioti, à cause de son activité politique. Elle a alors immigré à Berlin-Est et par la suite à Varsovie.
Ouvrages sur le procès et la condamnation à mort de Nicos Beloyannis.
« L'homme à l'oeillet », portrait de Nicos Beloyannis par Pablo Picasso (extrait du livre Meurtre à Athènes. L'assassinat de Nikos Beloyannis et de ses compagnons).
La Guerre civile grecque a officiellement pris fin après la capitulation de l'Armée démocratique en août 1949. Le retour à la normalité n'était pourtant pas pour le lendemain. La déclaration du Secrétaire général du Parti communiste Nicos Zachariadis, appelant les communistes à rester sur le pied de guerre, a donné une excuse aux autorités grecques pour poursuivre les persécutions des communistes.
Un cas célèbre fut la condamnation à mort et l'exécution de Nikos Beloyannis, cadre du Parti communiste. Arrêté au départ pour violation de la loi 509/1947, Beloyannis fut finalement condamné pour espionnage et de trahison à la patrie. Il a été exécuté avec trois de ses camarades, le 30 mars 1952.
Le caractère clairement politique du procès et de la condamnation de Beloyannis a provoqué un grand mouvement de solidarité en Europe occidentale. L'indignation de l'opinion publique fut telle que l'État grec a publié en français une brochure intitulée « Le procès d'espionnage en Grèce » pour défendre ses thèses.
Fonds Thorez-Vermeersch / Bibliothèque
Cette galerie a été réalisée par Eliza Botsoglou.