[sic]
Si l’ombre demeure sur les circonstances qui avaient porté dès 1939 la cachette de la bibliothèque à la connaissance des autorités locales, un épisode survenu bien plus tard dit assez bien le climat régnant alors dans la France occupée.
Hippolyte Marquès, qui avait été l’artisan de la dissimulation de la bibliothèque dans l’Aveyron, fut déchu de son mandat de conseiller municipal d’Ivry le 9 février 1940. Placé en séjour surveillé le 28 mai 1940, il fut interné à Riom, dans le Puy-de-Dôme, et à l’île d’Yeu, en Vendée. Au camp d’internement de l’île d’Yeu, Marquès confia à l’un de ses camarades de chambrée l’histoire de la bibliothèque de Thorez, et la cachette – qui n’en était déjà plus une – chez sa sœur, dans l’Aveyron. Le 1er octobre 1941, ce confident, transféré depuis au camp de Saint-Paul d’Eyjeaux, écrivit à Pierre Pucheu, Ministre de l’Intérieur, pour lui rapporter les faits. La mémoire fit défaut au délateur, puisque sa lettre évoquait une bibliothèque « qui se trouve actuellement chez les sœurs de Monsieur Marquet à la campagne dans la Corrèze » [sic]. Par sa lettre, l’expéditeur entendait prouver son « patriotisme » en vue d’accélérer sa libération – encore prit-il la précaution de demander au ministre de ne pas engager de poursuites contre les prétendues sœurs Marquet, « lesquelles ignorent sûrement le contenu des emballages ».
Peine perdue, la cachette de la bibliothèque était de longue date connue des autorités.Toujours est-il que cette lettre de délation suscita l’intérêt de l’Inspection générale des services de police judiciaire, et une lettre du conseiller d’État secrétaire général pour la police fut adressée au cabinet du préfet de l’Aveyron. Ce dernier fit remonter les informations disponibles relatives à la saisie et à la mise sous séquestre des livres.
Troisième passage.
Dernière péripétie de la bibliothèque sous l’Occupation, les Septfonds reçurent enfin la visite, le 29 août 1942, de Guy de la Taille, délégué départemental du Service des sociétés secrètes (SSS). Ce service était l’un des trois offices mis en place sous Vichy pour collecter l’information et organiser la répression des organisation réputées « secrètes », au premier rang desquelles les loges maçonniques. À la tête du SSS, Bernard Faÿ, administrateur de la Bibliothèque nationale, avait été chargé par Pétain d’inventorier et d’exploiter la masse des archives tirées des loges dissoutes.
De la bibliothèque de Thorez, le délégué du SSS préleva trois documents : un ouvrage intitulé La main dans le sac, publié par le Bureau d’éditions, la traduction en français d’un document antisémite d’origine russe, les Protocoles des sages de Sion, ainsi que la traduction en français d’un ouvrage allemand, Le filet brun, édité par la Nouvelle Revue Critique. Les raisons qui amenèrent le délégué du SSS à se saisir de ces trois ouvrages restent inconnues. Contrairement aux livres précédemment saisis, ces trois ouvrages n’ont pas réintégré, à ce jour, la bibliothèque de Maurice Thorez.