Nouvelle saisie
Le premier ouvrage saisi en août 1941 est une monographie intitulée Histoire de la ville de Saint-Denis et de la basilique, par Henri Monin, publiée en 1928 par l’Imprimerie de Saint-Denis. Ce livre avait été offert à Maurice Thorez le 11 février 1938, à l’occasion d’une séance de signature de son livre Fils du peuple, organisée dans les salons du Grand Cerf, à Saint-Denis. Sur les pages de garde figuraient les signatures des membres du comité de section ainsi que celles des secrétaires de cellules alors en fonction.
Le deuxième ouvrage saisi par le receveur des Domaines et l’inspecteur de police était le tome premier des Œuvres complètes d’Helvétius. Ces Œuvres complètes, dans l’édition originale de 1774, avaient été offertes à Maurice Thorez par le collège des professeurs et des élèves de l’École centrale, en 1938. La dédicace, qui figurait sur la page de garde du tome premier, comprenait, entre autres, la signature du philosophe Georges Politzer et celle du physicien Jacques Solomon.
Les deux livres saisis furent déposés au lendemain de leur saisie, le 2 août, au bureau du cabinet du préfet de l’Aveyron, M. Marion. Par une lettre datée du 8 août, ce dernier transmit les pages de dédicaces, arrachées des deux livres, au général Campet, directeur du cabinet militaire du maréchal Pétain : « Il m’a paru plus simple, lui écrivit-il, de vous expédier exclusivement les feuillets ayant un intérêt politique et de ne pas confier aux hasards de la Poste des ouvrages dont l’un est volumineux et qui n’ont de valeur que par la richesse de l’édition. Ils portent l’intérêt d’indiquer les noms de professeurs et élèves de l’École centrale communiste, et il me semble ne pouvoir mieux faire que de vous les envoyer, en vue de leur exploitation ».
À quelle sombre " exploitation " ces pages arrachées purent-elles donner lieu ? Aucun élément ne permet aujourd’hui de le savoir, mais il est toutefois établi qu’au nombre des signataires de ces dédicaces aujourd’hui disparues figuraient des militants communistes contre lesquels s’exerça la meurtrière répression de l’occupant et des autorités de Vichy. Le 22 septembre 1941 – moins de deux mois après la saisie de l’Histoire de la ville de Saint-Denis – le plombier Gaston Dourdin, qui, en tant que secrétaire de la section communiste de Saint-Denis, avait signé le livre offert à Thorez en 1938, fut arrêté par la police française. Il fut fusillé le 5 janvier 1942, au Mont-Valérien. Georges Politzer fut arrêté avec sa femme Maïe pour infraction à l’interdiction du Parti communiste, le 15 février 1942. Jacques Solomon fut arrêté par les brigades spéciales le 2 mars 1942. Les deux amis furent tous deux fusillés le 23 mai 1942 au Mont-Valérien.