Le 50ème anniversaire de Maurice Thorez
Pour le 50ème anniversaire de Thorez, le 28 avril 1950, le Parti communiste organisa de grandes festivités.
1939 - 1945 : de l'anniversaire du député Thorez à l'anniversaire de Maurice
Avant la Seconde Guerre mondiale, les anniversaires de Maurice Thorez ne donnaient pas lieu à de grandes célébrations organisées. Bien que légitimé par la participation des communistes au Front populaire, le jeune dirigeant ne recevait guère, pour son 39ème anniversaire, que les hommages issus de sa circonscription : sections communistes d’Ivry et de Vitry, cellules de quartiers et d’entreprises, comités de défense de L’Humanité d’Orly, mais aussi messages des chômeurs et des hospitalisés d’Ivry.
Parmi les messages envoyés à Thorez pour ses 50 ans, la lettre d’une militante des Lilas évoque le souvenir d’une initiative de sa fille, en 1942 :
« Pour votre 42ème anniversaire, une jeune fille des Lilas, ma fille, vous a fait parvenir une bouteille de Champagne et des gâteaux. J’espère que ces présents parvinrent jusqu’à votre retraite [ndr : Thorez était alors en URSS]. Ils venaient de camarades de la Marne, et c’est de passage à la maison que ma petite Raymonde, les yeux brillants de foi, tira de son sac cette bouteille en me disant : « Vois, Maman, c’est pour les 42 ans de notre cher camarade Maurice Thorez ». Ma fille a été arrêtée quelques temps après et n’est plus revenue. »
Dans le contexte de l’Occupation, le geste de cette jeune fille apparaît surtout comme une revendication de son identité de militante.
Après la Libération, le retour de Thorez en France ouvre une nouvelle période dans l’autorité exercée par le dirigeant sur son parti. La pratique des cadeaux, qui se systématise dans les années d’après-guerre, traduit ce changement. Elle préfigure la collecte massive du 50ème anniversaire, point culminant du culte de la personnalité organisé autour de Thorez.
21 décembre 1949 : Staline a 70 ans
Quelques mois avant le 50ème anniversaire de Thorez, le 70ème anniversaire de Staline fut l’occasion de rassembler les partis communistes du monde entier autour de l’Union soviétique, dans le contexte de la guerre froide.
En France, un comité de patronage fut créé pour recueillir les cadeaux des militants. La présidence en fut confiée au physicien Frédéric Joliot-Curie. Acheminés vers Paris, les cadeaux furent montrés au public au cours d’une exposition à la Maison des Métallos, à Paris (XIème). Inaugurée le 6 décembre, l’exposition resta ouverte tous les jours du 7 au 15 décembre, de 11 à 22 heures ; elle attira un grand nombre de visiteurs. Par train spécial, les cadeaux rejoignirent ensuite Moscou. Selon Le Travailleur, ce sont plus de 3000 cadeaux qui furent ainsi adressés au dirigeant soviétique par les militants français.
Œuvres d’art, livres d’or, souvenirs de déportation, lampes de mineurs, enclumes miniatures : les analogies sont nombreuses entre les cadeaux adressés à Staline, et ceux qui seraient offerts à Thorez quelques mois plus tard.
Ces analogies étaient volontaires : elles établissaient la filiation entre Staline et celui qui était désigné comme son « meilleur disciple » en France. La section communiste de Nantes-Nord offrit ainsi à Staline un tableau intitulé Pêcheur de Douarnenez. Pour ses 50 ans, Thorez reçut quelques mois plus tard une toile du même artiste, Femme d’Ouessant, « faisant le pendant » du cadeau de Staline : « C’est, précisait la dédicace, en associant vos deux noms dans un même hommage, que nous te prions d’accepter ces témoignages modestes de notre gratitude ».
Par la proximité dans le calendrier, par son mode opératoire semblable, l’anniversaire de Thorez se place résolument dans le sillage de celui de Staline.
Janvier-avril 1950 : le contexte du 50ème anniversaire
Durant les mois précédant le 50ème anniversaire, la lutte pour la paix était au cœur du discours communiste.
Le 23 février 1950, lors d’une manifestation, une militante d’Indre-et-Loire, Raymonde Dien, s’allongeait devant un train transportant des armes, en gare de Saint-Pierre-des-Corps. Arrêtée, elle fut emprisonnée et jugée. Son nom fut dès lors cité en modèle pour les jeunes militantes.
Le 18 mars, le Mouvement mondial des partisans de la paix, d’inspiration communiste, lança depuis la Suède une vaste pétition, « l’appel de Stockholm », exigeant l’interdiction absolue de l’arme atomique. Le printemps 1950 vit également culminer la grève des dockers dans plusieurs ports français. Encadrés par la CGT, les dockers refusaient de participer au chargement des armes destinées à la guerre en Indochine.
Le 2 avril, le XIIème congrès du PCF s’ouvrait à Gennevilliers. Réélu au poste de secrétaire général, Thorez y présenta un programme comprenant la dénonciation du plan Marshall, l’interdiction de l’arme atomique, la reconnaissance de la RDA et l’arrêt de la Guerre en Indochine.
Le 17 avril 1950, un jeune travailleur en bâtiment, Édouard Mazé, était tué par la police au cours d’une manifestation, à Brest. Pour de nombreux militants, Édouard Mazé devint le symbole de la répression aveugle exercée par le gouvernement contre les travailleurs.
La lutte pour la paix, Raymonde Dien, l’appel de Stockholm, le mouvement des dockers, Édouard Mazé : de nombreux cadeaux adressés à Thorez pour ses 50 ans évoquèrent ces faits marquants de l’actualité militante communiste.
28 avril 1950 : Maurice Thorez a 50 ans
Le vendredi 28 avril 1950, Maurice Thorez avait 50 ans.
Sous l’égide du parti, diverses manifestations étaient organisées dans la France entière pour saluer cet anniversaire. Les fédérations, les sections et les cellules du PCF relayaient localement l’événement, pour lui donner un écho national. Portées par les militants, de nombreuses petites initiatives voyaient ainsi le jour.
Les sections et les cellules organisèrent des réunions ouvertes aux habitants du quartier. Des collectes de cadeaux, de messages et de signatures étaient lancées dans les usines et les quartiers. Des divertissements, des vins d’honneur, des projections de films, des bals et des programmes artistiques étaient aussi proposés. Une « goguette » eut lieu à Paris, au profit des vieux travailleurs.
La plupart des cellules et des sections communistes publièrent aussi un numéro spécial de leur journal. Une vente de masse de la presse communiste et de Fils du peuple fut organisée. Une édition de ce livre, illustrée par des artistes communistes (dont Picasso) fut mise en vente pour le 50ème anniversaire.
Une cellule dans le 50ème anniversaire
Sous la tutelle de leur parti, les cellules furent les véritables artisans de la diffusion du 50ème anniversaire sur le territoire français. Voici, à titre d’exemple, les actions menées à cette occasion par une cellule du XIème arrondissement de Paris, la cellule Orillon-Morand.
Le jeudi 13 avril, les militants de la cellule organisaient une réunion pour les ouvriers de la fonderie Legenissel, une importante usine du quartier. La réunion eut lieu chez Charlot, un café de la rue Morand.
Le jeudi suivant, les sympathisants du quartier étaient invités à se joindre aux militants lors d’une seconde réunion, à la Maison des métallos. À cette occasion, une conseillère municipale, Maria Dorath, prit la parole : elle évoqua successivement le XIIème congrès du PCF, auquel elle était déléguée, et Fils du peuple, le livre de Thorez. Une partie récréative clôturait cette « soirée amicale ».
Le lundi 1er mai, jour de Fête du travail, les militants de la cellule faisaient du porte à porte dans le quartier, pour faire signer l’appel de Stockholm. Enfin, dans une lettre adressée à Thorez, les militants firent part de l’ensemble de ces réalisations.
Du 22 avril au 4 mai 1950 : l'exposition d'Ivry
Point d’orgue des festivités, une exposition permit au public de découvrir, dans la salle des fêtes de l’hôtel de ville d’Ivry, les cadeaux et messages offerts à Maurice Thorez.
L’exposition fut inaugurée dans l’après-midi du 22 avril. Le soir de l’inauguration, un grand meeting eut lieu en présence de Charles Tillon, membre du bureau politique du PCF, à la salle des conférences de la ville.
L’éclaireur des eaux, journal de la cellule communiste de l’Usine des Eaux d’Ivry, annonçait l’exposition en ces termes :
« Répondant aux désirs exprimés par l’ensemble du peuple de France, une Exposition Nationale s’organise. Elle s’ouvrira le 22 avril à 16 heures et durera jusqu’au 4 mai. Salle des fêtes de la mairie d’Ivry, il sera présenté dans un cadre artistique et instructif, les cadeaux, vœux ou messages adressés par les simples gens de toutes les régions de France, les organisations populaires au grand champion français dans la lutte pour la paix et le bonheur humain. Plusieurs fanfares, sociétés de musique se feront entendre au cours de cette exposition. Il y aura des matinées enfantines ainsi qu’un magnifique programme sportif. La mairie sera décorée ainsi que les rues avoisinantes, mais nous sommes certains que toute la population voudra pavoiser, mettre des drapeaux et la photographie de Maurice Thorez aux fenêtres, afin de lui rendre un hommage public.»
L’exposition resta ouverte tous les jours, de 10 heures à 22 heures, jusqu’au 4 mai. De nombreuses cellules et sections en organisèrent des visites collectives. Plusieurs manifestations eurent lieu pendant et autour de l’exposition, dont, le dimanche 30 avril, le grand prix cycliste Maurice Thorez.
Une grande partie des documents constituant aujourd’hui le fonds Thorez-Vermeersch fut présentée au public au cours de cette exposition.
Le livre d'or du 50ème anniversaire
À la sortie de l’exposition d’Ivry, les visiteurs pouvaient laisser leur signature ou un message dans un grand livre d’or, qui fut ensuite offert à Maurice Thorez.
Quelques extraits de ce document unique :
« Longue vie à notre grand Maurice et à toute sa famille. »
« Longue vie au guide aimé de la classe ouvrière. »
« Nous te jurons, camarade Thorez, d’accomplir le plus de travail possible pour la paix, de manière à ce que sur notre chère terre de France, tout le monde ait du pain et des roses. »
« Je n’étais qu’un adhérent. Je suis, ou du moins je veux être un militant. Merci Maurice. »
« Je suis soldat c’est un fait, mais comme toi je ne veux pas faire la guerre à l’Union soviétique et avec toi je combattrai pour la paix. »
« Merci et reconnaissance d’une catholique venue au parti lorsque tu lui as tendu la main en 1936. »
« La presse pourrie veut essayer de te salir ! Qu’elle vienne voir à Ivry. Ici on sent battre le vrai cœur de la France. »
« Pour tes 50 ans ! Pour la paix, pour un parti encore plus fort et surtout mort au fascisme ! »
Après le 50ème anniversaire
Dans le sillage de la déstalinisation menée en URSS par Khrouchtchev, les années 50 virent s’atténuer ce type de festivités. Le 60ème anniversaire de Thorez, en 1960, donna lieu à un dispositif allégé de célébrations : l’accent fut alors mis sur une grande campagne de recrutement de nouveaux adhérents.
Dans une lettre adressée aux cellules du Pas-de-Calais, Jean Ooghe, secrétaire fédéral et membre du comité central du PCF, appelait les militants à cet effort de recrutement : « Aidez-nous à offrir à notre cher Maurice, le cadeau auquel il sera le plus sensible, qui lui procurera la plus grande joie : un gros bouquet d’adhésions nouvelles et un meilleur travail de masse de notre fédération ». La célébration était donc rétablie dans un sens collectif, profitant à l’ensemble du Parti.
À juste titre, le 50ème anniversaire apparaît aujourd’hui comme le point culminant du culte organisé autour de la personne de Maurice Thorez. Événement singulier dans l’histoire politique française, cette célébration dit combien le Parti communiste s’identifiait alors à son dirigeant.
Tout à la fois fascinant et déconcertant, le 50ème anniversaire de Thorez est difficile à saisir avec notre regard d’aujourd’hui. Il reste un phénomène qui interroge l’historien comme le militant.