Ivry dans le fonds Thorez-Vermeersch
Ville gérée depuis 1925 par une municipalité communiste, et siège du mandat de député de Thorez, Ivry-sur-Seine occupe dans le fonds Thorez-Vermeersch une place de choix.
Terre d'élection
A la fin des années 20, Maurice Thorez, qui s'imposait progressivement comme l'un des principaux dirigeants du PCF, souhaita briguer un mandat électif.
Pour les élections législatives de 1928, le jeune cadre communiste avait d'abord envisagé une candidature à Douai (Nord). Un autre membre du comité central du PCF, Benoît Frachon, était désigné pour disputer la circonscription comprenant Ivry-sur-Seine, Vitry-sur-Seine, Choisy-le-Roi, Orly et Thiais (Seine). Mais Frachon peinait à imposer sa candidature aux militants locaux, qui souhaitaient que la candidature communiste revienne à Georges Marrane, mécanicien-horloger, maire d'Ivry depuis 1925.
Thorez se ravisa donc finalement : estimant que sa candidature à Douai était trop incertaine, et que l'avenir du PCF se jouait en banlieue, il se présenta dans la circonscription d'Ivry. Clandestin depuis sa condamnation pour son action contre la guerre du Maroc, in ne put toutefois mener campagne.
Sa deuxième candidature à Ivry, en 1932, fut la bonne : Thorez, devenu entre temps secrétaire général du PCF, emporte de justesse la circonscription. Dès lors, les liens entre la ville, le député et sa famille ne se démentiraient plus.
Thorez sera reconduit six fois dans ses fonctions de député d'Ivry : en 1936, puis, après la Seconde Guerre mondiale, en 1946, 1951 et 1956, et enfin, sous la Cinquième République, en 1958 et 1962.
Terre de réalisations
Les longs mandats de Thorez, député d’Ivry de 1932 à 1964, et de Georges Marrane, maire de 1925 à 1965, marquèrent durablement l’histoire d’Ivry. L’un et l’autre impulsèrent les projets qui firent de la commune l’un des modèles revendiqués de gestion municipale communiste.
En matière de logement, la politique communiste aboutit à la construction de plusieurs habitations à bon marché (HBM). La cité Philibert-Pompée et les HLM de la rue Denis-Papin (actuelle rue Saint-Just) furent les premières de ces réalisations. Les HBM Marat, à l’architecture de briques caractéristiques, ont été livrées en plusieurs tranches à partir de 1938.
Les actions en faveur de l’enfance comptaient parmi celles que Thorez évoquait le plus volontiers au cours de ses interventions publiques. En 1926 fut créée l’Œuvre des Vacances Populaires Enfantines d’Ivry, association qui mit en place colonies et centres de loisirs pour les enfants de la commune. Les colonies poursuivaient un double objectif : le développement harmonieux de l’enfant par l’expérimentation de la vie en collectivité, ainsi qu’un but hygiéniste, grâce aux vertus conjuguées d’un air sain et du climat. La colonie des Mathes fut développée par l’OVPE sur un grand domaine acquis en 1928 en Charente-Inférieure. À partir de 1948, d’autres propriétés furent acquises par l’OVPE, parmi lesquelles le château du Bréau, dans la forêt de Fontainebleau.
L’École d’apprentissage, située place de la République, est également une réalisation à porter au crédit de la municipalité communiste. Son inauguration en 1939, lors des festivités du 150ème anniversaire, illustre bien les rapports unissant, à Ivry, mémoire des luttes et réalisations du temps présent.
Terre de luttes
Ancien village devenu terre d’usines, Ivry fut l’une des cités pionnières du communisme en France. De nombreux documents du fonds rappellent que des Ivryens ont été de tous les combats qui agitèrent le monde ouvrier au XXème siècle.
La trajectoire de Célestino Alfonso est emblématique de cet engagement. Né le 1er mai 1916 en Espagne, Célestino était arrivé jeune en France, où il travailla comme ouvrier menuisier. En 1934, il adhéra aux Jeunesses communistes et devint responsable du groupe d’Ivry-sur-Seine. En 1936, Célestino partit comme volontaire pour l’Espagne républicaine. Il y servit d’abord comme mitrailleur avec le grade de sergent, puis devient lieutenant l’année suivante. Blessé à la main en 1938, il entra à l’intendance et fut nommé peu après commissaire politique de la IIème Brigade internationale, avec le grade de capitaine. En février 1939, il fut rapatrié au camp de Saint-Cyprien, d’où il s’évada.
Comme de nombreux anciens brigadistes, Célestino entra naturellement dans la Résistance, en 1942. Arrêté, déporté puis évadé, il prit part aux activités des FTPF-MOI (Francs-tireurs et partisans français - Main-d’œuvre immigrée). Arrêté à nouveau en novembre 1943, Célestino fut fusillé en février 1944 avec 22 de ses camarades, dont Missak Manouchian et deux autres Ivryens. Le nom de Célestino figurait sur l’affiche rouge publiée par les Allemands et restée tristement célèbre.
Le tribut et l'exemple
Comme Célestino Alfonso, de nombreux Ivryens entrèrent en résistance contre l’occupant nazi. René Robin fut de ceux-là.
Né en 1899 à Paris, René Robin était en 1936 ajusteur-mécanicien et secrétaire de la section CGT à l’usine SKF d’Ivry. Il fut licencié de cette usine en 1938. Militant communiste, il était aussi l’un des secrétaires de la section ivryenne de l’ARAC, l’Association républicaine des anciens combattants. Sa femme Lucienne était quant à elle secrétaire du Secours rouge international. Arrêté en juin 1941 pour son activité clandestine, René Robin fut interné à la prison de la Santé, à celle de Fresnes, puis au camp de Compiègne. Déporté le 6 juillet 1942, il mourut à Auschwitz le 15 novembre suivant. Résistante elle aussi, Lucienne siégea au comité de Libération d’Ivry, en août 1944. En témoignage de respect, elle offrit à Thorez une gouache réalisée par son époux disparu.
Plusieurs documents du fonds citent des Ivryens tombés dans la lutte en modèles pour les actions à venir. Dans leurs cadeaux à Thorez, les femmes de l’hospice d’Ivry se réclamaient ainsi de la mémoire de Marie Jézéquel, quand elles formulèrent leurs revendications et leur désir de paix. Militante communiste, Marie Jézéquel était née en 1903 à Ivry. Infirmière, elle se livra sous l’occupation à la propagande clandestine dans l’hospice et y organisa des collectes pour les prisonniers politiques. Arrêtée par la Gestapo le 1er août 1944, elle fut déportée au camp de Bergen-Belsen, où elle mourut.
La ville d’Ivry a payé cher sa résistance active sous l’Occupation. 52 Ivryennes et Ivryens, dont 22 enfants, périrent à Auschwitz ; 131 sont morts dans les bagnes allemands et dans les prisons du régime de Vichy. 35 Ivryens furent fusillés, et un autre fut guillotiné.
Retour à Ivry
C’est sans conteste à Ivry que la collecte de cadeaux fut opérée avec le plus de minutie pour le 50ème anniversaire de Thorez. Aussi la ville figure-t-elle parmi les tout premiers contributeurs de cette collection de documents dont elle s’est vu confier la conservation.
Le fonds Thorez-Vermeersch garde ainsi le souvenir, par un message ou une simple signature, de plusieurs centaines d’Ivryens. Élus, militants et jeunes communistes, mais aussi ouvriers, employés de la commune et de l’hospice, ou simples administrés : les habitants d’Ivry démontrèrent en nombre le respect qu’ils portaient à leur député.
Ivry est aussi l’un des berceaux géographiques du fonds. C’est à Ivry que la bibliothèque familiale des Thorez prit forme dans les années trente. C’est à Ivry aussi que fut rassemblé et exposé l’ensemble des cadeaux adressés au secrétaire général du PCF à l’occasion de son 50ème anniversaire.
La place d’Ivry dans le fonds Thorez-Vermeersch peut donc être appréhendée comme le pendant de la place occupée par Thorez et sa famille dans la mémoire locale, une place dont la toponymie se fait l’écho. Une avenue, une école, un parc et une cité HLM portent aujourd’hui le nom de l’ancien député.